La transformation digitale est inévitable, c’est à vous de vous adapter

L’économie française a été marquée en début d’année par l’entrée en vigueur du dispositif de rupture conventionnelle. Plusieurs entreprises y ont déjà fait appel pour opérer une restructuration afin de faire face à un contexte économique morose (Pimkie, Peugeot…). Ces suppressions de postes ne sont jamais bien accueillies par les médias, et encore moins par les syndicats. Plus récemment, d’autres grandes entreprises ont annoncé des licenciements, notamment Carrefour, Castorama et SoLocal, invoquant une nécessaire restructuration pour faire face à la concurrence du web. Plutôt que d’expliquer l’impact du web sur leur secteur d’activité respectif et de reconnaitre que cet impact se traduit nécessairement par des restructurations, les médias préfèrent pointer du doigt les méchants patrons qui licencient. Ces pratiques éditoriales sont le reflet d’individus, et plus généralement d’une société, qui refusent de voir la réalité en face : le web est omniprésent dans le quotidien des consommateurs, il a changé de manière irrémédiable les attentes et comportements d’achat. C’est un fait, personne ne peut le contester, à moins d’être d’extrême mauvaise foi. Plus tôt vous aurez mesuré l’impact de ces transformations, plus vite vous pourrez mettre en oeuvre les mesures permettant de profiter de ces changements plutôt que de les subir.

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Adapt or die

La semaine dernière, l’annonce de la restructuration chez SoLocal a provoqué un beau ramdam médiatique : SoLocal, détenteur de Pages Jaunes et Mappy, va supprimer 1000 postes. Visiblement, les journalistes ne se lassent pas de ces histoires. Il faut dire que les annonces de licenciements en masse sont toujours spectaculaires… et tombent à point nommé pour attirer l’attention des lecteurs (la peur est un formidable levier de vente). D’autant plus que cette annonce ne vient pas seule, puisqu’elle suit celles d’autres acteurs majeurs de l’économie : Carrefour et Castorama.

Ne cherchez pas dans ces annonces une autre preuve de l’avidité des patrons ou des actionnaires, elles sont la conséquence logique d’un phénomène de transformation digitale qui a commencé il y a de nombreuses années. Je trouve extrêmement surprenant que l’on s’offusque de ces restructurations, surtout près de 15 ans après les déboires de l’Encyclopedia Universalis. La mécanique économique à l’oeuvre est la même pour une encyclopédie que pour un annuaire : le numérique permet de fournir un service supérieur au papier, mais avec des coûts inférieurs. Certes, ces activités historiques sont nobles, mais elles ont subi une baisse constante de leurs revenus d’année en année jusqu’à atteindre un seuil en dessous duquel elles ne sont plus rentables. Or, personne n’a dit qu’il fallait subventionner des activités qui sont structurellement déficitaires. Pour pouvoir survivre, ces entreprises n’ont d’autre choix que de basculer vers le numérique, et de démarrer un nouveau cycle de vie produit. Vous noterez que le secteur de la VPC a suivi la même trajectoire, mais que les médias ont décidé d’en faire une belle histoire (La Redoute : exemple d’une transformation digitale réussie).

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Ce que je suis en train de vous expliquer, c’est que tout ceci n’est qu’une question de perception : vous pouvez voir le verre à moitié vide (les licenciements) ou le verre à moitié plein (les emplois préservés), mais dans tous les cas de figure, la restructuration est indispensable. Les nouveaux supports (médias sociaux, smartphones, assistants personnels…), nouvelles habitudes (ROPO, recherches vocales…), nouvelles attentes (prix bas, service personnalisé, forte disponibilité, parfaite transparence…) et nouvelles concurrences (startups, GAFA…) forcent l’ensemble des secteurs d’activité à se remettre en question. La transformation digitale peut être lente (industrie musicale) ou rapide (taxis), mais elle a lieu de toute façon. Il en va de la responsabilité des entreprises de revoir leur offre et organisation pour s’y préparer. Plutôt que de pointer du doigt les entreprises qui se battent pour perdurer, nous devrions plutôt dénoncer celles qui pratiquent la politique de l’autruche, et elles sont TRÈS nombreuses. Nous parlons bien ici de celles qui ont entrepris une refonte en profondeur de leur offre ou modèles économiques, pas de celles qui bricolent des hackathons ou rachètent des startups pour faire illusion le temps de… de quoi déjà ? On ne sait pas, et même elles ne savent pas.

Depuis quand le papier est-il rentable ?

Le cas de SoLocal est particulièrement intéressant, car symptomatique de cette société qui refuse de regarder la réalité en face. Il ne faut pas être un prix Nobel en économie pour comprendre que le web et les smartphones ont rendu complètement obsolète une activité qui consiste à imprimer des bottins de plus de mille pages et à les distribuer dans chaque foyer de France (dont le taux d’équipement numérique approche les 90%).

Pour y voir plus clair dans cette histoire, j’ai demandé à Daniel Lemin, le responsable des médias sociaux de SoLocal, d’organiser un entretien avec Pascal Garcia, le directeur de la stratégie du Groupe. Cet entretien a permis de me confirmer plusieurs choses :

  • Leur environnement concurrentiel a complètement changé, passant de la PQR et de l’affichage local aux GAFAM et sites web spécialisés (LaFourchette, Doctolib…) ;
  • Le C.A. du groupe a baissé de 35% en 7 ans (une baisse comparable à celle des revenus d’autres industries reposant sur le papier, notamment la presse) ;
  • Le nombre d’annuaires imprimés est passé de 51 M en 2008 à 17 M en 2017 ;
  • Le nombre de visiteurs uniques sur les médias en ligne (PageJaunes, Mappy…) est passé de 15 M en 2008 à 26 M en 2017 ;
  • La part du C.A. réalisé sur le numérique est passée de 33% en 2008 à 84% en 2017, soit un très net transfert de la valeur ;
  • Cette restructuration est la seconde étape d’un vaste plan initié l’année dernière avec la mise à contribution d’un grand nombre de collaborateurs pour revoir l’organisation (avec un recentrage sur le client et non selon les silos historiques), les méthodes de travail (plus d’agilité, des circuits de décision plus courts), le système d’information (basculement massif vers les cloud) et les offres (pour trouver de nouveaux relais de croissance) ;
  • Le groupe tourne donc définitivement la page du papier (sans mauvais jeu de mots) pour recentrer ses activités sur le numérique, notamment en renforçant les partenariats avec les GAFAM et en procédant à une refonte de ses sites web pour qu’ils soient plus simples et surtout mobile-first.

Le plus intéressant dans cette transformation est que le groupe opère une évolution en profondeur, et notamment de sa mission : de régie publicitaire papier, ils ambitionnent de devenir l’interface numérique de référence pour les professionnels (TPE, PME, artisans, commerçants…) en s’appuyant sur la force de vente pour les accompagner dans leur transition numérique. Au même titre que la SNCF devient un acteur de la mobilité et que La Poste devient un acteur de la proximité, SoLocal s’éloigne de son ancrage « physique » (les annuaires) pour développer de nouveaux services, à l’image du Coach Digital lancé en partenariat avec la CCIP, les Echos, Netexplo et Google.

Comme indiqué plus haut, je pense que la restructuration de SoLocal est une belle illustration du phénomène de destruction créatrice théorisée par Schumpeter : l’innovation permet de reconfigurer les marchés (briser les monopoles) et mécaniques économiques (développer de nouveaux modèles). Certes, les innovations accélèrent l’obsolescence de nombreuses entreprises, donc des licenciements, mais c’est une étape obligatoire pour créer de nouveaux produits / services, à nouveau créer de la valeur, donc des emplois. Si ce processus de transformation est correctement accompagné par les pouvoirs publics, notamment en participant activement à la reconversion des salariés grâce à la formation, la création finit globalement par l’emporter sur la destruction.

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Et quand bien même vous n’adhériez pas à la théorie de la destruction créatrice, l’économie a toujours suivi des cycles dont la durée et l’amplitude sont fonction des innovations qui transforment l’appareil de production (les fameuses révolutions industrielles).

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Pour faire simple : non, ce n’est pas la faute du web, mais d’une nouvelle révolution industrielle, plus profonde, qui touche tous les secteurs d’activité. Cette révolution est en marche, vous pouvez essayer d’interdire Uber ou AirBnB, ça ne changera pas l’issue : les organisations incapables de s’adapter à ce nouveau contexte économique sont vouées à disparaitre. La question est maintenant de savoir si vous avez opté pour le bon modèle d’adaptation…

Toute activité créée au XXe siècle est potentiellement obsolète

Je n’insisterai jamais assez sur l’importance de bien appréhender la profondeur du changement que nous sommes en train de vivre. Non pas les changements à venir (montée en puissance de l’intelligence artificielle ou des véhicules autonomes), mais ceux liés à la généralisation du numérique, un phénomène qui a commencé il y a 20 ans. Rétrospectivement, et quand on constate ce à quoi ressemble le quotidien des consommateurs aujourd’hui (accès immédiat à une offre infinie, aux prix les plus bas et à une livraison gratuite le lendemain), on se dit que les Pages Jaunes ont démontré une surprenante capacité de résistance par rapport à Google, Apple ou Facebook.

Entendons-nous bien : je ne suis pas en train de faire l’apologie du zéro papier, mais d’expliquer une réalité économique : l’un ne remplace pas l’autre, mais l’augmente. Ainsi, les catalogues et prospectus sont toujours d’actualité, d’autant plus si on les couple avec des contenus / services numériques grâce à une URL courte ou un QR code (cf. les nombreux exemples chez Auchan, Ikea, PMU, certaines municipalités ou de nombreux commerçants avec des mini flyers…).

J’ai déjà eu de nombreuses occasions de vous expliquer que nous vivons actuellement une phase de transition entre le XXe siècle analogique et le XXIe siècle numérique. Autant il n’y a pas si longtemps que ça, certains pensaient que le web était un gadget et allait disparaitre, autant l’opinion publique est maintenant consciente des changements en cours. Mais la dernière étude commandée par IPSOS et l’AFPA en dit long sur l’état d’esprit général dans lequel les collaborateurs se trouvent : 92% des actifs âgés de 18 à 65 ans sont d’accord pour dire que le monde professionnel connait une transformation sans précédent dans l’histoire. Seuls 28% se sentent suffisamment armés professionnellement pour faire face à cette transformation, et moins d’1/3 considèrent leur entreprise comme prête pour faire face à ces transformations.

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En synthèse : tous sont conscients de la transformation que nous sommes en train de vivre, mais ils en ont peur, car ils ne la comprennent pas réellement et ne savent pas où cela les mène (Transition digitale et travail : ça fait peur). Celles et ceux qui me lisent régulièrement ont déjà deviné là où je voulais en venir : La formation est l’étincelle de la transformation digitale.

Comme expliqué dans un autre article, nous sommes dans un contexte de VUCA (volatilité, incertitude, complexité, ambiguïté) où la formation continue est la clé de la résilience. Le numérique apportant un flot incessant d’innovations, de nouvelles pratiques ou nouveaux modèles économiques, il est indispensable de se mettre à niveau pour pouvoir les comprendre et y faire face. Autant ceux qui travaillent dans le numérique ont intégré cette nécessité (Enquête : comment se forment les professionnels du web), autant les salariés lambda sont très loin du compte et accuse une dette numérique conséquente.

Le problème n’est pas tant de reconnaitre que le numérique change la donne, mais d’en comprendre l’ampleur : si les entreprises et collaborateurs sont au courant des dernières innovations, de l’écosystème foisonnant des startups, des addictions que nous développons aux supports numériques… ils se croient encore à l’abri ou du moins pensent que ça ne les concerne pas directement.

La majorité des entreprises n’ont globalement pas réellement pris la mesure de la transformation digitale. Elles pensent qu’en faisant travailler leurs employés plus vite ou plus longtemps tout va bien se passer. Certes, les outils numériques permettent de gagner en efficacité, quoi que pas tout à fait, mais l’important n’est pas de changer en surface (les activités périphériques), mais en profondeur (l’offre, les processus…). Je suis ainsi tout à fait en phase avec cette analyse publiée par McKinsey : Why digital strategies fail. L’auteur identifie les erreurs les plus communes faites par les entreprises :

  • une mauvaise définition du numérique et de la concurrence digitale ;
  • une mécompréhension des mécaniques économiques en oeuvre (fin des rentes de situation, abolition des zones de chalandise…) ;
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  • une mauvaise appréhension des plateformes et de là où se situe la valeur (dans la maitrise de la relation et non de la production) ;
  • une trop grande attention portée aux géants du numérique (au détriment de startups et nouveaux entrants qui sont en concurrence directe) ;
  • une mauvaise évaluation de la profondeur et de la rapidité du changement.
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Le point commun de ces erreurs est un déficit de pédagogie vis-à-vis du numérique : il est impossible de se préparer ou de se motiver si l’on ne comprend pas bien ce à quoi nous devons faire face et/ou la direction qu’il faut prendre pour accompagner tous ces changements.

Au final, ce qui fait défaut aux entreprises et organisations qui souffrent de la transition numérique, ce ne sont pas des collaborateurs plus jeunes, des followers ou des innovations technologiques, mais l’absence de vision : un modèle de référence servant à donner corps aux nécessaires changements, à définir une feuille de route avec des jalons, et surtout à motiver les troupes. À partir du moment où tous les collaborateurs savent pourquoi ils doivent changer leurs habitudes (s’inscrire dans un schéma de transformation viable avec des échéances cohérentes et les ressources adéquates), la dynamique de transformation se met en place et les étapes s’enchainent sans trop de résistance.

Cela fait maintenant plus de quatre ans que l’on parle de transformation digitale, quatre ans qui ont permis aux GAFAM et BAT d’instaurer un nouvel ordre mondial, ainsi qu’à de nombreuses stratups de devenir des multinationales faisant trembler les acteurs historiques (Netflix, AirBnB, Tesla, Uber…). Il est donc grand temps d’accélérer la manoeuvre pour enclencher une réelle transformation en profondeur et arrêter de bricoler à la marge (cf.Innovation : quand le groupe AXA siffle la fin de la récré).

Bien évidemment cette transformation nécessite de détruire des postes, mais pour en recréer des nouveaux. Et je reste persuadé que la seule et unique façon de mener à bien ce chantier est de mettre en place un programme de transformation digitale ambitieux, mais surtout réaliste. Non, tous les collaborateurs ne sont pas des intrapreneurs ou des hackeurs potentiels. L’important n’est pas de singer les pratiques de la Silicon Valley, mais d’accompagner les salariés dans une reconversion réaliste et surtout pragmatique. D’où l’importance de définir au préalable une vision et une feuille de route de transformation qui soient conformes aux nouvelles attentes des consommateurs, qui soient suffisamment robustes pour résister à de nouvelles formes de concurrence, et suffisamment flexibles pour s’adapter aux dernières innovations et règlementations.

Comme le disait Napoléons Bonaparte : « À la guerre, rien ne rattrape le temps perdu« . Et assurément, la guerre numérique que mènent les GAFAM / BAT ne fait pas de prisonniers.

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